Dossier thématique #2 Décarboner le bâtiment - Volet 1 : Point de vue d'un promoteur
"Nous sommes engagés dans un nouveau cycle"
Conscient de son impact sur l'environnement Bouygues Immobilier s’est fixé une trajectoire carbone ambitieuse reconnue par la SBTi qui vise, à l’horizon 2050, une baisse significative des émissions de GES.
Guillaume Carlier, Directeur de la Stratégie Climat et Ressources du groupe, nous expose les étapes de cette trajectoire, les conditions de sa réussite et les freins restant à lever.
Comment vous positionnez-vous dans le déploiement de la RE2020 sur vos opérations immobilières ?
Nous avons fait le choix de privilégier un équilibre réaliste entre l’anticipation et le respect des seuils progressifs fixés par la règlementation. L’esprit de la RE2020 est d’accompagner un changement radical dans les modes de construire, par étape, en permettant aux acteurs d’expérimenter. De fait, plus de 60% de nos programmes de logements qui ont fait l’objet d’un permis de construire en 2023, sont déjà sur les seuils visés en 2025 par la RE2020, et nous travaillons sur la conception d’une dizaine d’opérations qui flèchent le seuil de 2028. Nous avons souhaité également prendre beaucoup d’avance sur le volet énergie pour sortir du gaz conventionnel, avec un développement massif de l’installation de pompes à chaleur qui nous permet d’atteindre les performances visées pour 2031.
Projet 'Empreinte' à Angers
Crédit : LD3D / Architecte : Studio d'architecte Xavier GAYRAUD
Vous avez récemment annoncé que la Science Based Targets initiative (SBTi) a officiellement validé les objectifs de réduction des émissions de GES de Bouygues Immobilier pour la période 2021-2030. En quoi cela consiste-t-il ?
En octobre 2021, la SBTi a lancé le premier Standard "Net-Zero" pour les sociétés. Cette initiative a vu le jour afin de fournir aux entreprises une certification crédible, basée sur des données scientifiques, pour atteindre l'objectif de l'Accord de Paris et limiter le réchauffement climatique à 1,5°C d'ici 2050.
Fin 2023, nous avons obtenu la reconnaissance SBTi validant notre trajectoire carbone à moyen et long terme, l’une des plus ambitieuse de son secteur d’activités. Nous nous engageons donc à réaliser une baisse de 42 % des émissions de GES sur les scopes 1 et 2 et de 28% sur le scope 3 d’ici 2030 par rapport à notre référence de 2021*. C’est un engagement, bien sûr cohérent avec la RE2020, mais qui va au-delà.
Pour y parvenir, nous mobilisons de nombreux leviers : l’utilisation des énergies renouvelables, du béton à plus faible empreinte carbone, d’acier recyclé et de matériaux biosourcés (bois, paille, terre crue...), la sélection de fournisseurs ayant les facteurs d’émissions les plus faibles de leur catégorie, mais aussi des démarches d’éco-conception pour réduire les émissions en phase de construction et d’exploitation. Sans compter les réflexions que nous conduisons sur le réemploi des matériaux ou encore leur usage plus sobre, avec des solutions constructives comme les poteaux dalles, par exemple.
Projet 'Opaline Green Fabrik' à Pierrefitte-sur-Seine
Architecte : BVF Architectes / Crédit : David Bourreau
Quels impacts ces changement ont-ils sur l’exercice du métier de promoteur ?
Ils sont nombreux. En premier lieu, le promoteur bas-carbone fixe le cadre, il remonte dans la chaîne de valeur de l’acte de construire, son rôle devient stratégique dès la conception du projet pour l’inscrire dans une vision d’ensemble, où d’ailleurs nous devrons de plus en plus intégrer les services, la mobilité, les espaces communs, l’accès à la nature.
Nous avons donc mis en place des contrats cadres avec différents partenaires que nous mobilisons très en amont pour penser et concevoir les bâtiments. Cela nous permet de poser les bases d’une standardisation de l’éco-conception, indispensable pour baisser les prix en privilégiant une logique de volume. Notre cœur de métier consiste désormais à fixer les objectifs en termes de performance carbone et énergétique et à fédérer les acteurs pour contribuer à les atteindre, dans un cadre financier acceptable par tous. Notre prochain chantier et non des moindres, est d’intégrer à cette stratégie de réduction des émissions carbone, les actions de résilience des activités de Bouygues Immobilier et la stratégie d’adaptation de ses produits notamment sur le volet eau.
Comment les promoteurs de moindre envergure peuvent ils s’engager eux aussi, dans le contexte de crise actuel ?
C’est effectivement compliqué, ce qui explique que beaucoup d’entre eux demandent une pause dans le déploiement de la RE2020.
La crise que vit le bâtiment est profonde, elle risque de durer encore, mais le seul choix est celui d’avancer et de se tenir prêt pour la reprise, en ayant travaillé, préparé les changements. Car deux choses sont certaines : il y a en France, un besoin impérieux de produire des logements (besoin de plus de 350 000 par an), mais il ne sera pas satisfait avec les modes de faire du passé à savoir le 100% construction neuve. Le mouvement de la décarbonation du bâtiment est engagé, il ouvre un nouveau cycle qui passe aussi par la transformation et/ou la rénovation des actifs existants, et nous avons, en tant qu’entreprise majeure de la construction un rôle d’éclaireur à jouer, même si nous subissons aussi le ralentissement du marché.
Selon vous, quels sont les principaux freins qui doivent être dépassés ?
Sur la question des matériaux, des filières, des modes constructifs, les avancées sont réelles, l’ingénierie et les solutions existent. En revanche il y a toute une génération à former, et cette étape est loin d’être aboutie. Le second frein est d’ordre financier, il faut inventer des solutions de financement qui facilite la transition du secteur du bâtiment et l’accès aux bâtiments bas carbone, qui sont, à ce jour, plus coûteux à construire, donc plus chers. Enfin, il faut continuer à convaincre le grand public de l’intérêt de s’orienter vers des biens immobiliers vertueux et accompagner les élus pour démontrer que la décarbonation n’est pas une option mais qu’elle ouvre la voie à de nouvelles solutions, plus intégrées et plus durables. C’est bien un travail collectif qu’il faut mener pour générer de la valeur pour le secteur, pour l’élu, l’investisseur, l’utilisateur dans la réponse au besoin essentiel de se loger.
* Les critères de SBTi jugent de la pertinence et du sérieux des stratégies de décarbonation des entreprises en analysant les objectifs chiffrés sur les trois “scopes” : 1 pour les émissions directes, 2 pour les émissions indirectes liées aux consommations énergétiques et 3 qui analyse les autres émissions indirectes en amont et en aval de la chaine de valeur (matériaux de construction, exploitation des bâtiments livrés, etc.).